D'un peu de tout, ce billet
A ce que j'ai lu, Shanghaï serait devenu à la Chine ce qu'est New-York aux États-Unis, c'est-à-dire un lieu où sont représentées toutes les tendances culturelles du pays quoique sous une forme qu'il est impossible de retrouver autrepart dans le pays. (Et, en souvenir de Ti Jean -Jack Kerouac- dont l'ouvrage que « moi-je » préfère demeure Satori à Paris, je signale que l'Association Zhongbreiz est en voie de pouvoir rivaliser avec celle des bretons de New-York, cependant que les meilleures crêperie de Montparnasse sont -la plupart- tenues par des chinois. Ce qui est une agréable manière de vivre l'interculturalité du monde. Le jour où un mollah pourra célébrer la prière du soir à Notre-Dame de Paris, un Grand Rabbin diriger celle de la Grande Mosquée de Paris et leurs fidèles trouver à la sortie des moines bouddhistes quémandant leur soupe ou le bol de riz du soir, la véritable Paix des Hommes de Bonne Volonté ne sera pas loin. On pourra même envisager la suppression des religions institués.)
Pour l'heure, on peut supposer que les critiques qu'Alan Watts faisait à l'American way of life trouveraient tout à fait leurs places dans les Grands Magasins et les Gratte-ciels de Shanghaï (ceux du Front de Seine ou de la Défense à Paris pareillement, au fait ! La vie « à l'américaine » est de plus en plus devenue mondiale !
Et pourtant...
Pourtant à Shanghaï, des enfants se rendraient dans de discrets appartements du centre ville, où les décors et la discipline se veulent faire revivre les anciens confucianismes.
J'avoue savourer les utopies périphériques de la Philosophie wattsienne.
Elles expriment une espérance, une sorte de Woodstock de la pensée, mais aussi une mise en garde et une méfiance.
Cette méfiance -cette défiance- se justifie dans l'aspect attrape-nigauds des idéologies et des cénacles ayant pignon sur rue, mais en rien de solides bottes permettant de marcher dans la boue. (Encore qu'on puisse y marcher pieds nus. Le lavage des chaussettes en devient inutile.) Non ! Non!Et Non ! Ne plaisantons pas : cette méfiance provient de la négation même de l'idée d'ésotérisme et de spiritualité ; négation qui part du postulat que le monde nous est exclusivement extérieur dans son spectacle comme dans sa matérialité. Tout le mérite de la Philosophie d'Alan Watts est d'adopter un langage résolument moderne, voire occasionnellement de s'adapter aux dernières idées à la mode. Il n'en demeure pas moins que la Philosophie d'Alan Watts est traditionnelle. La Contre-culture spirituelle est celle qui fut le partage de toute l'humanité jusqu'aux environs du 11° et 12° siècle. La Contre-culture est une Culture de retour à la Tradition primordiale que toutes les idéologies et théologies positives tentèrent de détruire à partir de la Renaissance. Ces idées remontent aux débuts du second millénaire Post. J.C. Que leur diffusion fut freinée, notamment par les grandes épidémies, puis accélérée avec Gutenberg (1400-1468) -et la transposition écrite des langues vernaculaires- ne modifie pas l'aspect mondial du phénomène.
La mondialisation ne date pas d'hier. Mais question « date », tout le problème provient de ce que le premier millénaire ap.J.C ne débuta pas pile poil l'An 1000. Pas plus que le XXI° siècle ne commença en l'An 2000.
Ces divers phénomènes entre dans le cadre de l'Age Sombre, dit aussi Kali-Yuga, le Temps qui Tue. Et, sans vouloir jouer les prophètes, la crise économique actuelle ne trouvera une solution que le jour où les économistes, en des termes économiques et financiers, SVP, nous expliqueront le lien entre l'attentat du 11 Septembre, l'effondrement bancaire et un Fukushima venant après Tchernobyl.
Probablement en privé plus qu'en public, Alan Watts ne manquerait pas de demander, petite notation en marge, d'où vinrent et où allèrent les billets de banque qui servirent à l'occasion de ces trois tragédies (les cours de la bourse se sont redressés mais les billets que l'on palpe, où sont-ils?)
On peut dire que l'Age Sombre débuta avec la désacralisation du monde comme transmission d'un message spirituel intérieur. Le vrai sacré est regardé au dehors mais nous parle de notre vie intérieure. La désacralisation du monde, inversement, se caractérise par une projection (exclusivement unilatérale, à sens unique obligatoire) d'une interprétation subjective et de convoitise, d'accaparement, d'acquisition et de possession impériale du monde (éventuellement, avec aussi des valeurs irréductiblement esthétiques et poétiques mais détournées de leur fonction naturelle). On utilisa aux USA l'expression de matérialisme spirituel, à la suite de Chogyam Trungpa Rinpotche. Je dois dire, à titre tout à fait personnel (!), que cette expression m'a toujours gêné, car, à titre de plaisanterie semble-t-il, Alan Watts utilisa cette même expression pour désigner le fait que la matérialité du monde est elle-même divine. Ou, -autres expressions disponibles, la « manifestation du Ki », le « Spiritus » médiéval ou encore et encore le « Jeu de notre existence au monde », etc. Par définition, toutes ces expressions impliquent une traversée de l'immanence par la transcendance. On utilise parfois l'expression poétique de « transparence du dedans et du dehors » ; et dans les commentaires de tendances soufies, il est rappelé que l'être humain ne peut jamais voir que l'une des figures de Dieu, que celles-ci sont partout, que toutes reflètent le vrai visage de Dieu, mais qu'aucune ne sont Dieu. Dieu contient toutes nos petites lorgnettes, mais il est grand, immense. La grandeur d'Allah n'est pas différente, au moins sur ce point, de l'immensité de Brahman. Il faut bien saisir qu'utilisant à l'occasion une phraséologie de teinture scientifique telle « On peut s'interroger de savoir si c'est le cerveau qui s'évoque lui-même dans l'Univers ou l'Univers qui se reflète dans le cerveau humain », il se réfère à cette transparence de l'Être, au cœur du message de la Tradition.
C'est ici, dans nos raisonnements, que prend place la sémantique générale, l'idée que les mots ne sont pas les choses.
L'Apophatisme général que je préconise pour ma part n'est qu'un antidote de la double maladie de la « positivation » du monde et de « l'idéologisation » partisane des concepts le désignant.
La psychologie moderne entend adapter les individus au monde extérieur, jugé avant tout socio-économique. Les voies de libération nous unifient au Sacré. La psychologie moderne tend à nous adapter aux contraintes de la conquête impériale du monde. Les voies de libération nous proposent une adaptation aux lois du Ciel. Elles impliquent l'obéissance aux lois « sous le Ciel » (l'animalité en tant qu'elle est une dimension biologique commune entre les animaux et les hommes), mais ce qui est « sous le Ciel » est bien sûr contenu dedans le Ciel, notre ciel du système solaire, contenu lui-même dans une galaxie, contenue elle-même dans le Cosmos.
Ce qui ne doit pas faire oublier, qu'à nos yeux (qui sont en droit d'en être) émerveillés..... la voûte céleste se trouve « en haut » et la terre, le sol même de la planète sur laquelle nous marchons, -nous aimons ou nous faisons la guerre, subissons des catastrophes ou des épidémies-, se trouve « en bas ». Et, l'être humain est -de toute évidence- tout aussi bien à la merci des réalités d' « en bas » que des mécanismes cosmiques. Notre Terre se réchauffe d'elle-même de notre fait, mais notre Soleil se meurt et tôt ou tard nous renverra à une époque glacière sans que l'action humaine y soit pour grand chose. (On remarquera que des catastrophes telles celles de Tchernobyl ou de Fukushima proviennent autant d'une malveillance « d'en haut » que « d'en bas » : si le choix des emplacements comme le calcul de résistance des matériaux n'avaient pas été truqués pour des raisons de profit, il est probable que les dégats de l'impact strictement « naturel » eussent été considérablement moindres.)
Être écolo signifie respecter le territoire des tigres, mais l'équilibre des contraires nous invite premièrement à ne pas s'aventurer de tirer leurs moustaches sous prétexte d'amour de la nature et, deuxièmement, à conserver une excellente carabine à portée de main et d'être capable d'abattre tout fauve qui viendrait à s'aventurer sur le territoire des humains.
Tout le problème, sur ce vaste décors d'un surréalisme dalilien et le drame cosmique qui s'y joue, demeure : « ET MOI ? ET MOI ? ET MOI ? Qu'est-ce que moi-je deviens dans tout ça ? »
Nota ascético-orthographique : sauf si l'écrivant se trouverait être un Éveillé, ce « deviens » doit être orthographié à la première personne : la maladie de l'ego est nôtre quoique la pression éducative et socio-culturelle, le sur-moi et toutes ces choses, y ont une part essentielle. Mais, l'ego n'est pas une maladie qui nous tomberait sur le dos comme un coup de froid. Elle est aussi congénitale que sociale.
Tel est l'enjeu de la métamorphose d'une conscience egotique en conscience cosmique.
En Extrême-Orient traditionnel, on évoque le grain de sable s'envolant avec le vent du désert ou la vague qui rejoint l'Océan.
Ce sont les thèmes qu'abordent au fond Psychothérapies Occidentales et Orientales, et que mes commentaires feront escorter du tout premier livre américain d'Alan Watts, (La Signification du Bonheur) et de son tout dernier sur le Tao (the watercourse way – à ne pas confondre avec La philosophie du Tao, dont la signification est bien à l'opposé « the tao of philosophy » : ce en quoi le tao traverse aussi la réflexion philosophique ; techniquement, il faudrait dire : le tao-te (dao-de) : la vertu du tao en philosophie (ce en quoi la philosophie peut nous aider à découvrir le tao, mais sachant les limites de son propre discours, car le tao véritable traverse sans s'y arrêter ; le tao peut traverser le discours philosophique mais ce dernier ne saurait lui être extérieur ou par paraphrase, comme dirait Zhuangzi : à trop dire le tao, on ne fait que prouver que l'on ne l'a jamais écouté, ni entendu, i.e. Que l'on n'y entend rien !).
Ceux qui s'intéressent prioritairement à ce passage (effectivement psychologique) de l'ego au Cosmos, du « petit soi » auto-centré au Soi libéré peuvent se contenter des trois livres mentionnés plus haut.
Ceux qui ont une habitude ou des goûts philosophiques devraient y adjoindre L'Identité Suprême pour la question de l'ésotérisme et L'enseignement oral des bouddhistes tibétains, d'Alexandra David-Neel sur l'inexistence substantielle de l'ego. (Alan Watts exigeait, de ses étudiants à l'Académie des Etudes Asiatiques, la lecture préalable de cet ouvrage, sans laquelle ses propres affirmations - lors de ses cours, conférences et séminaires - sont incompréhensibles.)
Ces deux ouvrages marquent aussi l'évolution de la pensée d'Alan Watts : de la lecture de son premier livre américain, il est possible de penser qu'un ego sain équivaut à la libération intérieure. Après avoir lu Tao, on sait (du moins les concepts de ce Savoir) que la Vie, notre vie personnelle incluse, est un verbe sans agent ni substantif, attribut ou épithète. La fonction naturelle de l'ego est seulement de constater qu'il est vivant plutôt que mort. Ma grand mère me disait : « T'as mal ? Tu es donc bien vivant ! » Si elle avait été averti du zen, elle aurait précisé « Quelle chance !Quelle Merveille ! » Ce qui fait bien plus chic, pour sûr. Mais, tout de bon, n'est-ce pas merveilleux ? Pour de bon et pour de vrai !
Étant en ce moment sans l'sou, je suis contraint de reporter l'achèvement de mon blog sur Alan Watts à l'automne prochain. Ce qui ne fera qu'une année de retard sur mes désirs ; l'éternité en a vu d'autres...